La France encourt-elle un risque de déclassement technologique et géopolitique ? - Synthèse
Le 17 janvier 2022, la Chaire grands enjeux stratégiques contemporains a eu l’honneur d’accueillir dans son cycle de conférences Michel Duclos, ancien ambassadeur et conseiller spécial à l’Institut Montaigne. Auteur d’un essai publié en septembre 2021 : « la France dans le bouleversement du monde », Michel Duclos s’est interrogé sur la place de la France dans le monde face aux nouveaux enjeux géopolitique et technologique de la prochaine décennie. Faisant le constat d’un déclassement progressif de la France sur la scène internationale, l’ancien ambassadeur a d’abord cherché à recontextualiser les raisons de cette perte de vitesse.
Pour l'ancien ambassadeur, l’intensification de la conflictualité sino-américaine entraînera inévitablement une nouvelle confrontation « Est-Ouest ». Cependant, toute comparaison avec la guerre froide serait superficielle car les rapports de forces entre la Chine et le camp occidental tendent à s'égaliser. En outre, les « champs de bataille » ne sont plus les mêmes et il est fort probable que le facteur technologique sera prédominant dans les confrontations de la décennie à venir. Enfin, « l’interconnectivité » des sociétés humaines face à la montée d’enjeux globaux (écologiques, sociaux…) oblige les gouvernements à rejeter un monde clivé et fractionné. Un monde par ailleurs au sein duquel l’Union européenne va devoir « jouer des coudes » afin de faire valoir les intérêts des États qui la composent.
Ce contexte globalement est assez défavorable à l’affirmation d’une France dont la puissance se relativise. Michel Duclos complète son analyse en soulignant les conséquences de la désoccidentalisation du monde observée depuis plusieurs années. Selon lui, l’abandon du recours à la force au profit des sanctions par l’Occident serait à l’origine de vides de sécurité que les gouvernements « néo-autoritaires » ont fini par exploiter et combler. L’examen par Michel Duclos du triptyque des crises récentes « Kaboul, Canberra, Kiev » sert à illustrer cette analyse : le retrait des forces américaines de Kaboul parachève la fin de « l’interventionnisme militaire occidental », la crise de l’AUKUS et la crise ukrainienne démontrent respectivement et simultanément la prédominance de la région indopacifique dans le logiciel américain et la dévaluation de la garantie des Etats-Unis pour les Européens. En outre, pour Michel Duclos, si l’Europe n’est plus la pomme de discorde entre l’Est et l’Ouest, comme durant la guerre froide, il se peut qu’elle devienne le théâtre de conflits périphériques à l’instar du Pacifique dans les années 1950.
La situation dans laquelle se trouve la France, comme la plupart des pays européens, n’est pas des plus favorables, mais Michel Duclos constate que notre pays n’est pas rentré pour autant dans une phase de déclin : la France évolue désormais dans un monde plus compétitif où certaines « puissances émergentes » font jeu égal avec elle. Fort de son expérience diplomatique, Michel Duclos constate que la France accumule trois faiblesses qui contraigne son action sur la scène internationale. Alors que l'échelon européen est désormais incontournable pour quiconque souhaite marquer les relations internationales en Europe, le décrochage de l’économie française par rapport à l’économie allemande affaiblie son rôle dans le « pilotage de l’Union ». En outre, la France souffre d’une « solitude stratégique » qui s’explique d’une part, par un déficit de confiance de la part de ses partenaires de l’Union et d’autre part, par un manque de reconnaissance de la part de ses alliés anglo-saxons du P3 comme l’a démontré l’affaire des sous-marins en Australie. Quant au soft power français, il souffre d’une situation analogue. L’universalisme à la Française constitue un ensemble de valeurs de moins en moins prisées, voire même décriées. Durant l’affaire Samuel Paty, la France s’est ainsi retrouvée au cœur d’une « tempête » entre le monde musulman et nos alliés anglo-saxons., réfutant sa vision de la laïcité.
En guise de conclusion, Michel Duclos préconise une recomposition des alliances occidentales, dans lesquelles l’Union se doit d’avoir une place égale à celle des États-Unis, tout en évitant d’en revenir à une logique de bloc contre le bloc entre la Chine et les États-Unis.
1. DUCLOS Michel, La France dans le bouleversement du monde, l’Observatoire, 2021.
2. DUCLOS Michel (dir.), Le monde des nouveaux autoritaires, l’Observatoire & l’Institut Montaigne, 2019.
3. GAUTIER Louis, « Fin de partie : retour sur l’interventionnisme militaire occidental, 1991-2021 », Politique étrangère, n°4/2021, décembre 2021.