Les transformations du paysage spatial international et leurs conséquences stratégiques - Synthèse
Le 24 janvier 2022, dans l’amphithéâtre Oury de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, le directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, Xavier Pasco, est intervenu pour la première conférence thématique du cycle 2022 consacrée aux « transformations du paysage spatial international et leurs conséquences stratégiques ». Ses travaux, sont généralement portés tant sur les affaires spatiales, la stratégie internationale des Etats-Unis dans les domaines de l’espace, que sur la politique spatiale européenne. Il notamment conseille plusieurs instances nationales et européennes, telles que l’Agence européenne de défense, la Commission européenne ou les services du Premier ministre (Centre d’Analyse Stratégique).
Le constat qu’il pose est clair : l’Espace se démocratise. La frontière de l’aventure spatiale, la Lune, est désormais déportée avec les missions vers Mars. Les acteurs impliqués dans l’espace se multiplient et se diversifient à une vitesse exponentielle. Le milieu spatial, originellement réservé aux grandes puissances, telles que les Etats-Unis, la Russie, La Chine, le Japon ou la France, concerne désormais une centaine d’Etats et plusieurs entreprises privées, à l’instar de SpaceX d’Elon Musk. Cette hybridation de l’offre, que consacre l’implication de plus en plus forte du secteur privé dans le spatial, entraine certaines craintes. Ces craintes sont avivées par la difficulté à réguler le trafic spatial et d’y établir une gouvernance claire. Le traité international de 1967 sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique apparaît à cet égard dépassé et déjà contourné.
La donne a en effet beaucoup changé. Entre 2015 à 2020, 87 lancements ont été observés, contre 146 depuis le début de l’année 2021, dont 56 pour la Chine et 45 pour les Etats-Unis. Xavier Pasco met l’accent sur trois aspects à prendre en compte impérativement pour la gestion du domaine spatial dès à présent : l’exploration, la logistique, et la militarisation. L’espace est un environnement hostile, difficile d’accès, et difficile à maîtriser car contraint par la physique. X. Pasco insiste : l’environnement spatial implique une interdépendance. Les Etats sont tous concernés par les conséquences éventuelles des actes dans le domaine spatial.
Sur un plan financier, l’espace est devenu incontournable, les puissances y sont désormais sommées d’investir ; c’est une vitrine de la compétition entre puissances. Le directeur de laFRS approfondit son analyse en rappelant que « l’intérêt pour le spatial naît à une époque où les rapports de force sont bipolaires. ». L’affrontement USA-URSS a propulsé le domaine spatial au cœur des préoccupations géopolitiques et économiques dans la seconde partie du XXe siècle. Post-1989, l’assise américaine sur l’espace leur permet d’établir une connexion entre espace et information, ce qui va induire une première entrée du secteur privé en 1994, à travers la libéralisation de l’imagerie satellitaire. On a organisé les premières activités commerciales liées à l’espace ; selon M. Pasco, on a « semé les graines de ce qu’on appelle le ‘New Space’ ».
L’engagement d’acteurs privés, tels que SpaceX depuis 2001, existe bien mais reste conforme aux intérêts du gouvernement américain. Contrairement aux idées reçues, l’immense majorité de l’investissement dans le domaine spatial est public, régulé par un système américain de ‘layers’ qui entremêle acteurs publics et privés.
Aussi, X. Pasco indique que la course vers Mars est une nouvelle frontière symbolique et scientifique. Mais l’autre enjeu plus tangible politiquement et économiquement, c’est la conquête de la Lune ; oû se projeter ailleurs ? Mars n’est que difficilement habitable. Les programmes lunaires sont pour les trois décennies prochaines des objectifs de mobilisation des États, en particulier pour les États-Unis et la Chine, mais aussi des investisseurs privés.
Xavier Pasco en conclusion le souligne, les enjeux liés au spatial sont stratégiques et resteront dominés par la compétition et les intérêts des États en collaboration avec des acteurs privés qui vont se multiplier et se diversifier. Étant donné le niveau des contraintes d’accès et des enjeux communs pour l’humanité de l’exploitation spatiale, la coopération et l’interdépendance sont impératifs. Il n’empêche : l’espace sera au XXIe siècle, ce que le nucléaire était au XXe, le reflet de la puissance étatique et de leur compétition.