De la guerre froide au Califat: l'environnement stratégique en mutation au Moyen-Orient
Université Paris I Panthéon Sorbonne – Chaire Grands Enjeux Stratégiques Contemporains 2016
Shahram Chubin, ancien directeur
du Geneva Centre for Security Policy (GCSP)
En 2016, un aperçu du Moyen-Orient, du Levant jusqu'au Golfe aurait capté une région en bouleversement total. Ni la durée de cette période de transition, ni le résultat de cette transformation ne sont prévisibles. Ce qui est clair c'est que, pour toutes les continuités culturelles, religieuses et linguistiques, la région reste dans un état fluide sans précédent. À tous les niveaux, l'état, la politique régionale et le contexte géopolitique au Moyen-Orient ressemblent peu à ceux d'avant 2003. Au centenaire des accords Sykes-Picot, il ne reste que très peu de choses de cet édifice colonial.
Selon la typologie de Robert Cooper, le Moyen-Orient serait en train de reculer du monde "moderne" vers le monde "pré-moderne"; de celui de l'État-nation territorial avec des frontières, une souveraineté et des capacités gouvernementales, vers un monde avec plus d'affiliations locales et des éléments concurrents, des loyautés envers le clan ou la tribu, où des groupes armés sont présents et les capacités gouvernementales sont faibles. Les individus commencent à accorder leur loyauté à des communautés plus "compactes".1 Selon les mots de Max Weber, peu de pays du Moyen- Orient jouissent actuellement de l'attribut prioritaire de l'État ou du monopole légitime de la violence. Les acteurs régionaux d'aujourd'hui, encore principalement des états, sont assiégés. Dans tous les pays, même les plus solides (la Turquie, l'Égypte, l'Iran), les sociétés sont divisées, quant au rôle de l'islam dans la politique. L'Irak, la Syrie, la Libye et le Yémen se trouvant en état de guerre, réelle ou virtuelle, le Liban étant affaibli et la Jordanie vulnérable, les acteurs non-étatiques ont comblé ce vide créé: le Hezbollah, les brigades Badr, Daesh, le Front al-Nosra, ainsi que certains groupes kurdes, pour n'en citer que quelques-uns. Les guerres civiles ont généré d'importants flux de réfugiés qui transforment le visage du Moyen-Orient et soumettent à une pression supplémentaire des états vulnérables, comme la Jordanie et le Liban. L' "ordre régional" actuel est menacé, alors que certains de ces états se défont de façon anarchique. Des groupes djihadistes ont acquis désormais une base territoriale et rivalisent avec des états. Bienvenue dans le "modèle afghan". Les politiques régionales sont marquées par une polarisation sectaire aggravée entre les camps sunnite et chiite qui s'engagent dans les guerres par procuration en Syrie en au Yémen et, moins ouvertement, en Irak et au Liban. Cette rivalité, qui reflète en réalité un conflit de pouvoir entre l'Iran et l'Arabie saoudite, pourrait mener au conflit direct et elle a pris un caractère de jeu à somme nulle, qui entrave tout règlement des conflits sanglants en Syrie ou au Yémen. Il y a le risque que des pays qui ont peu d'intérêt pour cette querelle bilatérale, comme l'Égypte, la Turquie ou même le Pakistan s'y impliquent. Les alignements régionaux sont en pleine mutation, alors qu'Israël se rapproche du plus militant Conseil de coopération du Golfe et la Turquie raccommode ses barrières avec Israël, sous la pression russe. À cause de cette rivalité et des priorités différentes, (le terrorisme et les Frères musulmans pour l'Égypte, le PKK pour la Turquie) il y a peu d'espoir pour la création d'un front commun régional contre Daesh. Des états faibles, fragiles ou éclatés, contestés par des acteurs non-gouvernementaux: la question se pose si l'ordre régional actuel au Moyen-Orient, basé sur les états pourra survivre et, si c'est le cas, sous quelle forme. Même les pays puissants, tels que l'Égypte, la Turquie et l'Iran, pays historiques et homogènes, avec une forte identité culturelle, accusent une gouvernance déficiente et témoignent tous de l'existence des "états profonds" dans leur sein. Aussi, aucun de ces pays n'a-t-il répondu, de façon satisfaisante, à la question sur le rôle approprié de l'islam dans la vie politique. [Israël fait face à un problème analogue].
Géopolitiquement, ces changements sont décrits en tant que de l'unipolarité, qui a laissé sa place à la non-polarité. Les États-Unis, après avoir dépassé la mesure et frôlé l'hybris au cours de la période antérieure, sont en train de redéfinir leur implication dans cette région. Il s'agit maintenant plus du rôle d'un "équilibreur lointain" (offshore balancer) que d'une "puissance régionale", comme dans la période de 2001 à 2009. Ce retranchement reflète plus une réticence politique à s'impliquer en tant que pivot en Asie ou la perte d'intérêt, due à la disponibilité de l'huile de schiste. Le résultat évident est le fait que, dans une période de tourmente, les états régionaux ne disposent plus de l'alibi d'une puissance extérieure qui joue un rôle prépondérant. Le retour de la Russie dans cette région complique les calculs aussi; s'agit-il d'un "rôle perturbateur" à l'égard de l'Ouest ou d'une sympathie sincère pour les chiites? Entre-temps, la chute brutale du prix du pétrole (de 100$ à 30$ en trois ans) aggrave immédiatement la rivalité régionale et met les États sous pression intérieure. Sans aide extérieure et avec peu d'indices d'une coopération régionale, avec une perspective réelle de nouveaux conflits qui entraîneraient davantage de déplacements de réfugiés et de mouvements de populations, cette région devrait devenir un problème chronique pour la puissance extérieure, la plus directement concernée: l'Union européenne. Comment sommes-nous arrivés à cette situation d'une région entière en crise durable? Afin de comprendre la circonstance actuelle, nous devons regarder en arrière, examiner ce qui a précédé et chercher les racines des problèmes multiples qui affligent cette région. Aux fins de l'économie d'espace et d'un contraste plus saisissant, je vais procéder en me concentrant sur certains sujets d'une importance continue en 2016: la gouvernance; le rôle politique de l'islam; la politique régionale; le terrorisme, l'évolution de la guerre; aussi, la politique internationale et le rôle des puissances extérieures. Considérant cette région depuis 1945, on est frappé par deux moments charnières, l'année 1979 et une décennie après, la fin de la guerre froide. Le premier fut bien plus important pour la politique de cette région que le second. Un sujet principal de cette présentation / texte est le degré auquel la politique régionale a été le produit des forces et dynamiques locales et l'impact marginal des forces extérieures, même pendant la guerre froide et la décennie d'unipolarité qui y a suivi.
Gouvernance: la défaillance d'un élément distinctif régional
Presque tous les malheurs de la région et le principal défi qu'elle doit relever, proviennent de l'incapacité d'élaborer des systèmes politiques légitimes et qui fonctionnent. Cela implique des systèmes qui seraient responsables, représentatifs et inclusifs, capables d'offrir des services de base.
Dans les années '50, avec la décolonisation, les régimes militaires ont pris le dessus et ont profité de la guerre froide pour obtenir des armes et parfaire leur entraînement. Ils ont institué des systèmes à parti unique et se sont servis de la politique étrangère pour que leurs citoyens restent mobilisés. Ils ont accordé des privilèges à des groupes particuliers et ont maltraité les minorités. Les coups d'État militaires renouvelables ont empêché le développement de sociétés civiles qui auraient permis au peuple de participer aux décisions politiques. Par la suite, cela s'est transformé en l'État sécuritaire (Mukhabarat), par exemple en Libye, en Irak et en Syrie, avec une direction politique plus stable, favorisant son propre clan et considérant les ressources de l'État comme un "ghanima" (butin). Ces États sécuritaires étaient moins militaires mais tout autant répressifs et dysfonctionnels du point de vue politique. Il s'agissait des États essentiellement laïques, apparemment nationalistes qui se servaient de la question palestinienne pour surenchérir sur leurs rivaux locaux et maintenir les états d'urgence. La gauche ou l'opposition religieuse étaient contenues par la répression. Le retour de l'Islam en 1979 à trouvé ces États mal préparés. Ils ont été les victimes principales du printemps arabe et de sa demande de respect, de responsabilité politique et d'un gouvernement efficace. L'incapacité des leaders arabes à élaborer des gouvernements qui auraient tenu compte des besoins et des souhaits de leurs citoyens, a laissé un héritage que nous apercevons maintenant: des sociétés polarisées sur le rôle de l'islam dans la société; le discrédit du modèle laïque - nationaliste; et le chômage pour une population, en grande partie jeune, qui cherche à partir à l'étranger. Les divisions au sein de l'opposition et les États affaiblis ont ouvert aux groupes militants armés, principalement islamistes, la voie pour pénétrer dans l'arène politique, souvent avec un soutien étranger. Les résultats varient et vont, de la guerre civile (Syrie, Yémen, Irak), à l'impasse politique qui perdure en Égypte, en Iran et en Turquie. La place de l'islam dans la politique et ce qui pourrait être un "modèle islamique" sont des questions posées pour la première fois en 1979 et qui persistent.
Le 'retour' de l'islam après 1979: quelle réponse?
La révolution islamique en Iran est l'événement le plus important dans la politique du Moyen-Orient d'après-guerre. L'islam s'est propulsé dans la politique, partout dans la région et peu de pays ont échappé aux conséquences, qui se font toujours sentir aujourd'hui. L'islam a imprégné la région, influençant les rapports régionaux, la nature actuelle du terrorisme, la nature de la 'résistance' contre Israël, les conceptions de la légitimité et la nature des adversaires des régimes existants. De l'Arabie saoudite en 1979, l'Égypte en 1981, la Syrie en 1982 à l'Algérie en 1990, les islamistes ont fait sauter les barrières politiques. Les gouvernements, déchirés entre la répression et la cooptation ont dû trouver un équilibre entre le risque de les pousser au militantisme et à la clandestinité, et le risque qu'ils puissent s'emparer de l'État. L'Irak, la Libye et même la Syrie, lorsqu'ils étaient menacés, ont adopté, avec peu de succès, une islamisation défensive, afin de renforcer leurs systèmes. De Saddam à Sisi, ces régimes ont essayé de perfectionner leurs compétences islamiques.
En alternant entre la cooptation et la confrontation de leurs oppositions islamiques, avec des résultats mélangés, les gouvernements ont échoué à traiter une source de leur popularité. Les services de base qui n'étaient pas offerts par les gouvernements, ont été fournis avec de plus en plus d'énergie par les groupes islamiques, qui faisaient face aux catastrophes naturelles ainsi qu'au manque de nourriture ou de médicaments.2 Le rôle de l'islam dans la politique, le rôle de la charia ont soulevé des questions sur les lois séculières: qui était son interprète qui faisait autorité? quel était le rôle du gouvernement? et, quelle était la légitimité de l'état - même? Le slogan des islamistes qui s'opposaient à l'état: "l'islam est la solution" n'était pas justifié, puisque des pays comme l'Iran ressemblaient plus à un avertissement qu'à un modèle. Pourtant, même des états officiellement laïques comme la Turquie, ont jugé nécessaire pour leur identité, de se pencher en arrière et de se rééquilibrer culturellement vers l'islam.
Alors que le modèle laïque et nationaliste des États sécuritaires a singulièrement échoué à fournir des services efficaces aux citoyens, la recherche des alternatives s'est orientée vers ce qui était familier et authentique dans le langage et en tant que symbole, et qui avait été réprimé: pas la démocratie mais l'islam, dans toute la confusion de sa signification diverse.
À la suite du printemps arabe, (que les Iraniens appellent de façon optimiste "le réveil islamique") les sociétés de la région ont démontré un clivage continu et fondamental sur la question de la laïcité opposée aux systèmes politiques islamiques (ou religieux). Cela concerne autant Israël et la Turquie, que l'Iran et l'Égypte. Le fait d'injecter de la religion dans les conflits politiques, comme la question palestinienne, a rendu leur résolution au moyen d'un compromis plus difficile, et c'est ce qu'Israël et les Palestiniens ont fait, tous les deux, après 1979. Des groupes opportunistes comme Daesh ont essayé d'exploiter ces schismes et prétendaient représenter un califat moderne et, ce faisant, ils mettaient en relief les pires aspects de la politique de cette région, imitant l'attitude prédatrice, arbitraire et répressive des états existants. Dans le cas de l'EI, la violence contre les minorités est assortie à son agenda sectaire, ce qui peut difficilement être considéré comme un modèle tentant ou original. En même temps, il n'y a rien qui ressemblerait à un modèle islamique, pluraliste et éclairé, nulle part ailleurs. Les états asiatiques (du sud et de l'est) ont régressé, en ces dernières années, fournissant des djihadistes et étant la cible de Daesh. Cela est dû, en partie, au fait que l'Arabie saoudite, à cause de sa rivalité avec l'Iran produit constamment des extrémistes;
le résultat évident de cette situation est l'intégration du salafisme dans l'Islam, à travers de ce qui fut dans le passé, une base très étroite et très localisée.
Politique régionale: de la rivalité structurée à la rivalité généralisée
Dans la période de décolonisation d'après-guerre, on a mis l'accent sur la question palestinienne en tant qu'une cause arabe. Cela supposait un caractère centralisé de la politique régionale, même si la bataille pour la suprématie dans le monde arabe était apparente dans les slogans du nationalisme arabe, pendant la "guerre froide arabe". Différents schémas d'unité se succédaient, des interventions ont eu lieu (Yémen, Kuwait), ponctués par les guerres avec Israël, volontaires ou involontaires (1948, 1956, 1967, 1973). L'Iran et les états péninsulaires en restaient des acteurs marginaux, tout en étant l'objet de la colère d' Abd al-Nasir et de la campagne contre les monarchies.
Cette situation a commencé à changer dans les années '70, avec la chute de Nasser et l'enrichissement grâce au pétrole. À la fin de cette décennie, la révolution iranienne avait créé un nouveau défi: un vaste état chiite, non-arabe, qui se trouvait à proximité immédiate, professant les idéaux républicains, qui briguait le leadership du monde musulman, qui reprochait à l'Arabie Saoudite un "islam américain" et qui se considérait comme la source réelle de "résistance" contre Israël. Les origines sectaires des problèmes actuels dans la région se trouvent au soutien ouvert aux chiites irakiens, à l'initiative manquée d'un coup d'État au Bahreïn et à la tentative d'assassinat au Kuwait (1981/2), ainsi qu'à l'implication soutenue au Liban en 1982. L'Iran était désormais un acteur majeur dans la zone israëlo-arabe avec, comme seul allié arabe pendant sa guerre de huit ans contre l'Irak, la Syrie (1980-88). Tout au long des années 1980 et 1990, la rivalité irano-saoudienne a été essentiellement indirecte, avec le soutien de ses mandataires d'une part et la diplomatie du carnet de chèques de l'autre, finançant des madrassahs et des mosquées, promouvant l'islam de marque saoudienne, partout dans le Moyen-Orient, dans l'Afrique du nord, le Pakistan et l'Afghanistan. La rivalité nationale, à laquelle on donnait un caractère islamique et sectaire, provoquerait une augmentation de cas d'attaques contre les chiites dans certains des pays mentionnés. L'Iran ne considérait pas le sectarisme comme une carte gagnante et a essayé de se promouvoir en tant que leader musulman et non pas chiite.3 Cependant, poussé par la nécessité en tant que défenseur autoproclamé des "opprimés", cet état a gravité du côté de sa circonscription naturelle. En professant l'unité musulmane, l'Iran a pratiqué la division.
Au cours de la décennie suivante, l'attention s'est déplacée vers le Golfe, récemment enrichi et instable. L'accord de 1979 entre l'Israël et l'Égypte a sorti du jeu le pays arabe le plus important, rendant de nouveau, ce qui avait été le conflit israëlo-arabe: principalement un conflit israëlo-palestinien. (Deux intifadas -en 1987 et en 2000- en témoignent, ainsi que l'absence de référence à ce conflit, pendant le printemps arabe qui suivait). Le résultat a été le rapprochement des zones israëlo-palestinienne et celle du golfe Persique, qui formèrent un grand théâtre stratégique, où les rôles les plus importants revenaient aux pays du Golfe et à l'Iran. Et, comme la période après 2010 l'a démontré, avec le Conseil de coopération du Golfe et l'Iran en position dominante, il s'agissait d'un rôle plus affirmé (ou 'impulsif' selon certains) dans l'ensemble de la région. L'Iran a cherché à établir une zone-tampon stratégique dans un Irak récemment devenu chiite, alors que l'Arabie saoudite considérait la création d'un nouvel état chiite dans la région comme une menace directe. Cette même perspective a animé la vision saoudienne, concernant la politique dans cette région, au Bahreïn et plus tard en Syrie, où le soutien iranien de l'ordre établi (Assad) était jugé comme profondément déstabilisant et dangereux pour le monde sunnite. Au fur et à mesure que la perspective sectaire de la politique régionale s'installait, la portée de la rivalité irano-saoudienne s'élargissait et s'intensifiait, assumant un caractère de jeu à somme nulle, pendant lequel, aucune des deux parties ne saurait reculer ou transiger. Le Yémen, où ces deux états avaient coopéré du temps du Shah et de Nasser, les voyait alors, former deux camps opposés. La rivalité s'est étendue jusqu'à l'OPEP, où la détermination saoudienne de conserver sa part du marché, a contribué à faire baisser les prix. L'Arabie Saoudite, dans son désir d'affirmer une présence plus ferme dans la région, a cherché à organiser une coalition contre l'Iran (incluant la Turquie, le Pakistan et l'Égypte) assumant son intérêt à "internationaliser" la rivalité. Ce projet s'est heurté au fait que cette région n'était polarisée qu'en apparence: qu'il y avait des intérêts transversaux et des affiliations actives. Le monde sunnite n'est pas plus représenté par l'Arabie saoudite, que les chiites ne le sont par l'Iran. Les différences au sein de chaque communauté, ainsi que l'existence de laïques et nationalistes, suggèrent la présence d'autres affiliations, éventuellement plus fortes que celles seulement, ou exclusivement, sectaires.
De plus, la structure de la région, composée de plusieurs grands États, devrait faire réfléchir tout État aspirant à l'hégémonie. La Turquie, l'Egypte ou l'Iran, les candidats les plus plausibles (avec l'Israël et l'Arabie Saoudite, pas loin derrière) auraient vite trouvé les autres dressés contre eux. Deux points supplémentaires devaient être relevés, concernant l'évolution de la politique régionale. Les États régionaux dans la zone israëlo-arabe et dans le Golfe ont fait preuve de peu de capacité à gérer leurs propres problèmes, encore moins les conflits. Rien n'a été mentionné sur une volonté de faire la paix ou sur une politique régionale, tournée vers l'avenir. Ces États sont devenus dépendants aux interventions de sauvetage extérieures. Un fait relatif à cela est que les États régionaux n'ont pas eu depuis 1945 - pour l'essentiel - l'expérience d'une guerre majeure parmi eux. Là où les guerres ont eu lieu, elles ont dissipé des malentendus et des prétentions: la plupart des États arabes reconnaissent maintenant, qu'il n'y a pas de solution militaire pour la question palestinienne. Parmi les Arabes ou avec Iran il n'y a eu aucune expérience de processus d'apprentissage (avec l'exception de l'Irak vis à vis de l'Iran). Par conséquent, les Saoudiens et les Iraniens ne sont pas d'accord sur la hiérarchie du pouvoir et, jusqu'ici, ils ne l'ont pas directement contestée. Les guerres permettent d'éclaircir ces questions mais (aujourd'hui) elles sont un moyen de moins en moins acceptable pour le faire. Donc, les deux États et, en particulier les Saoudiens, nourrissent des espoirs sur leurs statuts et leur pouvoirs relatifs. Une grande partie de la responsabilité concernant cette situation revient à l'Ouest, mené par les ÉU. Ils ont cédé au royaume à un point inimaginable, et celui-ci agit comme un enfant gâté.
(Considérons l'incitation saoudienne aux ÉU pour une frappe contre l'Iran, puis la colère du royaume sur l'accord nucléaire. Prenons un autre exemple: la lettre du roi Abdullah à Bush, qui menaçait que les relations avec les ÉU seraient "réexaminées". La lettre d'août 2001 a atteint le niveau de l'unipolarité, un mois avant l'implication de 11 Saoudiens au 9 septembre).
Le traitement indulgent de la part des ÉU à l'égard de l'Arabie Saoudite -comme à l'égard d'Israëla faussé et empiré la politique régionale. Affronter cette région, telle qu'elle est, pourrait mener à plus de réalisme dans le deux cas.
Les puissances extérieures: une nécessité et une nuisance?
Dans la période immédiate de l'après-guerre, celle de la décolonisation, les ÉU et l'URSS apparaissaient en tant que nouveaux acteurs dans la région. Alors qu'ils considéraient, eux, le monde sur le plan de leur compétition bipolaire, les états régionaux voyaient le monde selon leurs propres priorités. Pour les grandes puissances, chaque affrontement armé entre leurs protégés avait un effet direct sur leur crédibilité et était lié à la rivalité globale entre les deux blocs. Il en résulta un risque omniprésent que les guerres locales puissent dégénérer en une confrontation et des menaces nucléaires ont été effectivement prononcées en 1956 et en 1973. Pourtant ce qui nous frappe, quand nous considérons, rétrospectivement au moins, cette période, est l'influence limitée des grandes puissances protectrices, malgré les livraisons d'armes et les alliances. À maintes reprises, elles ont été défiées par leurs alliés plus faibles: la nationalisation du pétrole, et les embargos sur le pétrole; les interventions (celle de Nasser dans le Yémen et d'Israël au Liban), le lancement des conflits par Israël en 1967 et en 1982 (contre l'Organisation de libération de la Palestine à Beyrouth) et en Égypte en 1973; le refus d'accepter les termes réclamés par les grandes puissances, par exemple la réinstallation en Israël, et le risque élevé associé à tout projet pour la paix ou à l'ouverture de leur programme nucléaire.
Loin de pouvoir influencer concrètement la politique régionale, les grandes puissances ont réagi aux événements, souvent avec incompréhension. Une caractéristique de cette période est la tendance à se remettre aux 'hommes forts' ('our son of the bitch'), ceux avec qui il était plus aisé de coopérer. Cela a renforcé les tendances autoritaires des chefs locaux. L'ignorance impardonnable de la part des puissances extérieures a aussi causé des dommages à long terme dans la région, p.ex. les ÉU en Irak de 2002 à 2004. Pire que le 'changement de régime' a été la focalisation résolue sur le caractère sectaire du pays, une hypothèse auto-réalisatrice, garantissant que la fissure sectaire deviendrait permanente.
Dans le Golfe, la longue présence britannique a maintenu la région en état de paix, jusqu'à leur retrait en 1971. La décision des ÉU de compter sur les puissances régionales, afin de maintenir l'ordre (les deux piliers) tout en assurant une présence 'à l'horizon' fut de courte durée: la révolution iranienne et la guerre entre l'Iran et l'Irak y a mis fin. Vers 1990, à la lumière de l'attaque d'Irak contre Kuwait, les ÉU ont décidé de créer une présence permanente dans la région, une composante navale, dont est issue la Cinquième Flotte, sous le contrôle du Commandement central. Le "double endiguement" a mis fin à la présence offshore des ÉU dans la région, qui devenaient, avec une arme d'environ 30.000 hommes dans la région, un acteur régional. Coïncidant avec la décennie de l'unipolarité, cette décision des ÉU ne fut pas contestée. Ceci a mené, à l'époque, a un excès de confiance de la part des ÉU et à un risque accru de confinement, après le changement de régime en Irak, avec ses répercussions préposées. Sans doute, l'attaque en Irak et l'impasse qui en résultait, ont-elles aussi mis fin à l'ère de l'unipolarité. Le retour de la Russie et l'entrée de la Chine dans le Moyen-Orient a, pour les états locaux, un effet de levier apparent. Et, c'est la rivalité avec les ÉU qui anime l'activité de la Russie dans la région et non pas un impératif militaire en Syrie.4
Ces événements forment les racines de l'ère actuelle et sont riches en enseignements pour nous.
- Même pendant la guerre froide, l'influence des ÉU et de l'URSS était limitée, à la merci des événements régionaux. C'était plutôt la dynamique régionale qui a façonné le Moyen-Orient et non pas la structure globale. Ceci est toujours valable sur les origines du printemps arabe et jusqu'aux origines de la rivalité saoudo-iranienne.
- Les acteurs régionaux, quand ils ont agi de façon isolée, n'ont pas été plus efficaces. Les deux piliers se sont effondrés du fait de la révolution iranienne. La guerre entre l'Iran et l'Irak a résulté des conflits locaux et le rôle des grandes puissances, même si elles avaient souhaité le contraire, serait resté marginal.
- Les priorités et même les intérêts des puissances régionales et extérieures à la région sont rarement identiques, bien qu'elles coïncident parfois. Considérons le cas d'Israël et des ÉU pendant ces dernières cinquante années. Ou l'Arabie Saoudite et les ÉU aujourd'hui: Ryad est centré sur l'Iran et Washington sur Daesh. Alors que les dynamiques et les facteurs régionaux animent des événements, l'influence des puissances extérieures est limitée et le bilan de la gestion des conflits régionaux n'est guère plus rassurant.
De la guerre conventionnelle à la guerre civile
Une des raisons du déclin de l'influence des puissances extérieures repose à la vie politique de cette région. Pendant que la guerre inter-étatique diminuait et, avec elle, le risque d'une guerre majeure, l'utilité des armes et des livraisons d'armes a aussi reculé. Bien sûr, les relations armées, restent importantes comme l'Iran et l'Irak pourraient le confirmer, après leur expérience amère. La relation entre les ÉU et Israël, incluant la garantie que la "supériorité militaire" de ce dernier est un préalable pour rassurer Israël, et par conséquent l'amener, éventuellement à envisager des concessions.
Cela dit, comme la menace d'une guerre majeure avec une coalition arabe s'est éteinte et, avec elle, toute menace existentielle pour Israël, la livraison d'armes depuis les ÉU a été réduite. Toutefois, en d'autres termes, puisque la "profondeur militaire" a été rétrécie par les missiles, le territoire devient moins important et la technologie antimissile devient plus décisive. Donc l'approvisionnement en armes est toujours important pour l'Israël et les membres du Conseil de Coopération du Golfe, malgré le visage différent le la guerre dans la région. (En effet, les armes hitech comme les systèmes antimissiles font que certaines ventes d'armes sont plus importantes). Il n'a pas eu de guerre majeure dans la zone israëlo-arabe depuis 1973. Les guerres qui ont eu lieu depuis, les intifadas et les guerres au Liban et à Gaza ont eu un caractère relativement limité. Israël a eu du mal à obtenir des résultats décisifs dès sa formidable machine militaire: les "mouvements sur le terrain" répétitifs reflètent le caractère insaisissable d'une victoire définitive. Les guerres hybrides ou asymétriques ont remplacé les guerres conventionnelles, diminuant l'importance de nombreux composants des ressources conventionnelles ou bien, bloquant leur utilisation par déni d'accès. L'activité du Hezbollah au Liban en 2006 et l'insurrection irakienne l'ont amplement démontré. Et la guerre civile actuelle, ainsi que les opérations contre Daesh le confirment. En ce qui concerne le renseignement de terrain, les frappes par des drones et les opérations spéciales peuvent nuire à l'ennemi mais peuvent-elles produire les résultats souhaités? Les observateurs américains parlent aujourd'hui plutôt de 'façonner l'environnement' une position très différente du "choc et effroi". La puissance militaire reste d'une utilité limitée, quand les questions principales sont l'édification d'une nation, la gouvernance et la légitimité politique. Cela a été amplement démontré dans les deux cas de l'Iran et de l'Afghanistan, où les insuffisances des systèmes politiques ont rendu les insurrections et l'extrémisme possibles et durables.
Au fil des ans, les états-membres du Conseil du Golfe et spécialement l'Arabie Saoudite, ont dépensé des centaines de milliards de dollars en armes. l'impasse au Yémen suggère le rendement limité de cet investissement. La relation d'armement avec les ÉU, le Royaume-Uni et la France sont une forme de réassurance et un lien avec le complexe militaro-industriel de ces pays. Pourtant, comme le président Obama a souligné, la menace majeure à laquelle font face ces pays est intérieure.5 Les guerres civiles sont les conflits les plus difficiles à régler, à l'absence d'un vainqueur évident. Le phénomène du "trop faible, trop fort", dans les cas où les parties sont trop faibles pour gagner et trop fortes pour être vaincues, garantit, comme en Syrie, le chaos prolongé, la dislocation et la mort. Changer les faits sur le champ de bataille, (comme le font les Russes) peut renforcer le pouvoir de négociation d'une partie mais n'arrange pas les différences.
Le terrorisme: au nom de qui?
Jusqu'en 1979, le terrorisme au Moyen-Orient était séculier, nationaliste et au service des objectifs politiques / territoriaux. Les différents groupes terroristes, après la décolonisation étaient palestiniens et souvent financés par des gouvernements. Certains étaient employés contre d'autres gouvernements arabes mais ils étaient largement utilisés contre Israël. L'injection de l'Islam dans la vie politique de la région et dans la 'résistance' contre Israël a changé cette situation. En 1982-1983, les premiers cas d'attaques-suicide à la bombe sont survenus contre des cibles israéliennes, américaines ou françaises.
Dans le même temps, le moudjahidine accueillait des volontaires pour djihads contre l'URSS. Nombreux entre eux sont devenus (selon les termes d'Olivier Roy) 'les djihadistes nomades' des années '90, voltigeant d'une cause à l'autre: la Bosnie, la Tcétchénie, l'Irak. Les djihadistes de la première génération étaient représentés par Al Qaïda et trouvaient un terrain fertile dans toutes ses franchises, concentrées sur des cibles étrangères, (l'ennemi lointain), non-musulmanes. Bien que violentes, leurs opérations demeuraient plus symboliques que sanglantes. La révolte sunnite contre Baghdad et les ÉU a fourni les recrues pour la génération suivante des djihadistes, d'abord sous Zarqawi, et plus tard sous Baghdadi, alors que Daesh se formait. Ce groupe, concurrent d'Al Qaïda (et situé sur un autre plan, Hamas à Gaza) a ciblé à la fois les ennemis 'proches' et 'éloignés'; il était absolument impitoyable et se servait de la violence de l'acte et des médias sociaux, afin de produire un effet maximum. Il était aussi implacable dans sa brutalité à l'égard des autres musulmans et officiellement sectaire. Le fait que les gouvernements s'étaient désagrégés a rendu plus aisée la poursuite de son autre caractéristique distinctive: son objectif d'établir un califat, au mépris absolu des frontières existantes entre les États. De ce point de vue, il ressemblait plus à une insurrection, s'emparant des territoires, plutôt que juste de chercher à affaiblir ses ennemis. Des djihadistes étrangers, nombreux d'entre eux venant d'Europe, ont afflué pour se réunir sous sa bannière, moins, il convient de le souligner, pour répondre à un "message islamique" qu'il aurait pu adresser, mais plutôt attirés par son extrémisme et son radicalisme effrontés. Comme Roy, Fahrad Khosrokhavar et d'autres ont noté que la radicalisation de ces recrues, parfois converties, précédait leur islamisation. Une fois radicalisée, la branche extrémiste de Daesh apparaissait comme 'le seul jeu en ville'. Les gouvernements qui se préoccupaient du fait que leurs citoyens revenaient radicalisés de Syrie, devraient se concentrer sur les raisons pour lesquelles ils avaient été suffisamment radicalisés pour aller en Syrie; (bombarder Daesh est bon théâtre mais ne règle pas le problème fondamental).
La tentation d'utiliser des terroristes à des fins étatiques persiste pendant l'avènement de Daesh, mettant en évidence la menace qu'il représente pour les États et le système étatique. L'Arabie Saoudite considère Daesh comme un plus grand danger pour son ennemi juré, l'Iran, que pour elle-même. En même temps, l'Arabie Saoudite, qui pourrait être dépassée par Daesh, en tant que mouvement sunnite radical, sait que ce groupe est un concurrent potentiel. Avec la double présence de Daesh et d'Al Qaïda dans la péninsule arabique, quelle que soit la menace que constitue l'Iran (et elle n'est pas de caractère militaire), elle pâlit jusqu'à l'insignifiance.
Synthèse
L'État sécuritaire a été remplacé par l'État contesté; ("les moustaches par les barbes"?) le sommet par la base. L'incapacité de créer des États viables, légitimes, et efficaces est la raison de la tourmente actuelle et le défi isolé le plus important, auquel fait face cette région. Le printemps arabe représente l'éveil politique des citoyens et leurs demandes, bien qu'incomplètes, marquent une nouvelle étape dans l'évolution politique de la région. La 'rue' sera entendue dans l'avenir. La place de l'Islam dans la politique est une question essentielle pour tous les États, question contestée et décisive pour tout gouvernement d'unité nationale potentiel.
La politique régionale qui n'est limitée, ni par la guerre froide, ni par la guerre froide arabe, ni n'est centrée à la dispute israëlo-arabe, est maintenant traversée par plusieurs courants contraires: des rivalités sectaires, des conflits de pouvoir inter-étatiques (Iran / Arabie saoudite) et les guerres par procuration qui en résultent; les rivalités discrètes entre arabes et la compétition entre les groupes terroristes. La région, depuis le Golfe jusqu'à la Méditerranée, constitue désormais un théâtre stratégique inter-actif, dont les joueurs et les échiquiers sont multiples.
Il n'y a pas, localement, de tradition, ni expérience, pratique ou système pour gérer les affaires régionales. Les jalousies ont empêché la création d'un forum de sécurité régionale, dans le Golfe, par exemple. Depuis le milieu des années '70, l'Arabie saoudite insiste sur l'exclusion d'Iran et d'Irak de tout arrangement de ce genre, ce qui nie, plutôt le but de cet exercice.
Comme les guerres inter-étatiques conventionnelles ont diminué, elles ont été remplacées par les guerres asymétriques ou civiles qui affaiblissent et contestent l'État. Cela réduit les avantages des militaires traditionnels (et des puissances extérieures), tout en donnant aux milices et aux gouvernements, appliquant des méthodes stratégiques de guérilla, plus de marge de manœuvre. Le terrorisme est devenu une menace pour les gouvernements régionaux, plutôt que leur instrument. (Se souvient-on du terrorisme financé par les États)? Il a évolué: de séculier et national, il est devenu 'religieux' et djihadiste, sans attache par rapport à toute cause nationale. Dans le processus il s'est "dé-cultivé" et il a pris un caractère de plus en plus sanguinaire, pour servir ses intérêts seulement.
Les puissances extérieures, en particulier les ÉU qui ont renforcé considérablement leur implication après 1990, malgré leur infrastructure militaire considérable, ont désormais l'aspect de joueurs marginaux dans la politique de la région. Cependant, les puissances extérieures, notamment l'UE sont actuellement plus directement affectés par les évolutions dans la région. Qu'elle soit due aux conflits, à l'instabilité ou simplement au chômage, la migration vers l'Europe pose des questions sensibles, de nature morale et politique / sociale aux gouvernements, comme aux peuples.6
Conclusion
Le Moyen-Orient aujourd'hui, ressemble peu à ce qu'il a été aux années '50 ou '80: les acteurs, les enjeux, les interactions régionales et les intérêts des puissances extérieures, tout a changé. Le rôle des États non-arabes de la région est plus important. L'importance géopolitique du pétrole demeure mais dans un degré moindre. Les ÉU n'ont jamais eu "contrôle sur la région" (auquel certains nostalgiques font pourtant référence).7 Les dangers de l'instabilité ne proviennent plus de la confrontation des grandes puissances, ni ne sont dues à des interruptions d'approvisionnement, mais plutôt au fait que cette instabilité glisse vers l'Europe, via la migration et le terrorisme djihadiste. Y faire face est bien plus difficile que de préserver les réserves pétrolières ou de dissuader les agressions des États-prédateurs. L'ironie est que l'Europe a désormais plus d'intérêts en jeu dans la région, tout en disposant de moins d'influence.
L'unique facteur, et le plus important, qui permettrait de stabiliser la région, la création des États légitimes (représentatifs, inclusifs, responsables) et efficaces, serait l'édification nationale, ce qui n'est à la portée d'aucune puissance extérieure. Le meilleur que celles-ci puissent faire, c'est d'aider à promouvoir la société civile dans les États qui cherchent des solutions; pousser et encourager les États régionaux à faire preuve de plus de responsabilité et plus de retenue dans leurs interactions et leurs ambitions régionales, et rassurer les États vraiment vulnérables, qu'ils seraient assistés en cas d'agression flagrante, de la part de leurs voisins ou de groupes militants comme Daesh.
L'avenir du conflit sectaire dépend largement des relations irano-saoudiennes mais également de l'évolution de la politique intérieure des États de la région. Les régimes ont entretenu ce problème, pour tirer un avantage politique intérieur, ou pour compenser l'absence d'un gouvernement efficace. Il est difficile de trouver des hommes fiables à soutenir, en Syrie par exemple, et il faut envisager le risque de revenir en arrière, en ce qui concerne les armes sophistiquées. Le théorie 'Boots on the ground' change la nature de ce problème, à l'origine local, et comporte le risque de l'escalade, sans promettre des résultats rassurants. L'élimination d'Assad devra être gérée, de sorte à garantir que le vide créé, cette situation de 'free for all' (ouvert à tous) ne profitera pas à Daesh.
Le fait d'endiguer le mouvement djihadiste, depuis l'Europe jusqu'à la région et d'améliorer la résilience sociétale en Europe devrait être la priorité. L'assistance humanitaire et économique et les contacts culturels devraient être développés. Et on devrait inciter, de façon plus active, tous les acteurs régionaux à engager un processus de paix. S'afficher en tant que 'responsable de sécurité', 'partenaire' ou marchand d'armes est une triste image pour toute grande puissance. Ce qui doit être évité, c'est de donner à certains États régionaux carte blanche pour agir avec l'assurance qu'il n'y aura pas de prix à payer. (Israël et l'Arabie saoudite nous viennent à l'esprit). Agir de façon "offshore", en quelque sorte, et adopter un rôle secondaire dans la région, est meilleur, pas parce que les puissances extérieures manquent de force ou de volonté militaire (ou de persévérance), mais plutôt à cause du fait que la plupart des problèmes de la région ne peuvent pas être réglés par la force militaire et par les livraisons d'armes.
L'implication accrue des occidentaux, pendant les cinquante dernières années à faussé les rapports régionaux.8 Obliger ces États à assumer la responsabilité pour leur région, serait un point de départ, afin qu'ils deviennent responsables et matures et pas des États resquilleurs. Il est temps pour cette région, presque contigüe à l'Europe, d'assumer la responsabilité de sa destinée tumultueuse. En tout cas, il est désormais impossible que d'autres le fassent à sa place.
1 Robert COOPER, The Post Modern State and World Order, Londres, Demos, 1996 et The Breaking of Nations, Londres, Atlantic Books, 2003.
2 Les révoltes de 2010 qui ont renversé les régimes, pendant ce que nous appelons le printemps arabe, étaient autant un cri pour des services qu'un cri pour la démocratie. "Aiwa (yes) minister", The Economist, 14 novembre 2015, p.33.
3 Au Moyen-Orient il y a cinq sunnites pour trois chiites. Les chiites sont majoritaires seulement en Iran, au Bahreïn et en Irak (et en Azerbaïdjan) avec des minorités importantes au Liban et en Syrie.
4 Sam JONES, Erika SOLOMON et Kathrin HILLE, "Vladimir Putin asked al-Assad to step down" , The Financial Times, 22 janvier 2016.
5 Thomas FRIEDMAN, "Iran and the Obama Doctrine", International New York Times, 5 avril 2015.
6 Au Moyen-Orient, 60% de la population a moins de 25 ans. Le chômage des jeunes atteint le 25-30%. (En Iran, 20 millions d'habitants ont entre 25 et 35 ans, ils représentent le 50% du corps électoral). Les jeunes chômeurs se tourneront vers l'Europe, où le taux de natalité stagne et la population est vieillissante. Les facteurs de l'attirance et de la motivation sont évidents, et le deuxième ne peut qu'être intensifié à cause des conflits chroniques ou des gouvernements qui ne réussissent pas sur le plan économique.
7 Gideon RICHMAN, "Preserving American Power", The National Interest, No 141, janvier-février 2016, p. 18. Il est possible que le président Obama ait fait allusion à ce genre de représentation inexacte du passé, quand il a observé que "l'Amérique est notoirement a-historique". Voir aussi "A Conversation in Iowa, Part 2", The New York Review of Books, 19 novembre 2015.
8 La rencontre des puissances extérieures avec la région a laissé des cicatrices. Prenons le cas des ÉU depuis le 11 septembre: ils sont méfiants à l'égard des étrangers, obsédés par l'idée du terrorisme, bien moins accueillants et généreux envers les réfugiés (2500 Syriens), la société y est moins attirante sur plusieurs niveaux. Comme un homme d'État français l'a dit, après le 11 septembre, parlant de la réaction des ÉU: "la magie a disparu".