L'affirmation stratégique des Européens - Article

Discours de Michel Barnier à la Sorbonne, 21 janvier 2019

 

Monsieur le Recteur de l’académie de Paris [Gilles Pécout], Monsieur le Président de l’Université [Georges Haddad],


Mesdames et Messieurs,

Je suis très honoré d’être devant vous aujourd’hui, dans ce lieu chargé d’histoire, pour inaugurer le cycle 2019 de la Chaire « Grands enjeux stratégiques contemporains ».

Et je veux remercier son directeur, cher Louis Gautier, de m’avoir invité à m’exprimer sur le thème de l’affirmation stratégique des Européens.

En septembre 2017, le Président Macron prononçait dans cet amphithéâtre son discours important sur la souveraineté européenne, faisant écho à la vision du Président Juncker d’une Europe qui protège et aux propos de la chancelière allemande Angela Merkel sur l’Europe qui se prend en main.

« L’Europe seule, disait Emmanuel Macron, peut assurer une souveraineté réelle, c’est-à-dire notre capacité à exister dans le monde actuel pour y défendre nos valeurs et nos intérêts. Il y a une souveraineté européenne à construire ». Nous y sommes !

Demain, la France et l’Allemagne à Aix-la-Chapelle signeront un nouveau traité renforçant leur coopération pour une « Europe unie, efficace, souveraine et forte ».

Cet élan exprime la double exigence de la lucidité et du volontarisme dont nous, Européens, avons besoin pour nous affirmer dans le monde.

  • Lucidité car aucun de nos pays pris isolément, fût-il le plus puissant, n’a la taille nécessaire pour négocier d’égal à égal avec les « Etats continents » que sont la Chine ou les Etats-Unis.
  • Comprenez-moi bien. Une souveraineté européenne ne se substitue pas à la souveraineté nationale. Elle s’y ajoute. Elle la renforce.
  • Cette capacité, nous l’avons collectivement et nous l’avons seulement à l’échelle de l’Union.
  • C’est vrai en particulier pour la sécurité et la défense. Le numérique. L’économie. Et l’écologie.
  • Je suis convaincu que nous pouvons y arriver si nous utilisons nos atouts et si nous transformons les obstacles et les crises en opportunités.

Mesdames et Messieurs,

En juin 2016, les Britanniques, dans leur majorité, prenaient la décision souveraine de quitter l'Union européenne, après plus de 40 ans d'histoire commune.

Cette décision fut un choc pour tous ceux qui ont confiance en la force de convergence et d’unité des énergies que porte le projet européen.

A titre personnel, j’ai d’autant plus regretté cette décision que mon premier vote, lors du référendum organisé en France en avril 1972, a été en faveur de l’adhésion du Royaume-Uni.

Mais le Brexit nous a aussi rendus plus lucides. Il a fait prendre conscience d’une certaine fragilité du projet européen :

  • Avec le retrait du Royaume-Uni, l’Union perd une puissance nucléaire, militaire, diplomatique et économique de premier plan.
  • Nous connaissons désormais un peu mieux la stratégie de ceux qui cherchent à utiliser le Brexit pour nous diviser, nous fragiliser et mieux asseoir leur influence.
  • Désormais, nous réalisons que si nous ne faisons pas de l’Union un acteur plus fort sur la scène internationale mais aussi plus proche des citoyens, nous fragilisons ce pourquoi nous avons la paix et la stabilité depuis 70 ans.
  • Le vote du Brexit exprime aussi une colère sociale, un sentiment d’exclusion dans de nombreux territoires. Il y a urgence à comprendre, écouter et répondre.

Nous avons aussi fait preuve de lucidité dans notre réponse au Brexit. D’une lucidité qui n’a jamais été agressive.

  • Depuis plus de deux ans, sans relâche, nous avons co-construit des positions de négociation communes et solides avec les 27 Etats membres, avec le Parlement européen, avec les partenaires sociaux et la société civile.
  • Sans relâche, nous avons affirmé ces positions d’une seule voix, en les justifiant par les principes qui fondent notre Union : indivisibilité des quatre libertés, intégrité du marché intérieur, autonomie de décision de l’Union.
  • Sans relâche, nous avons expliqué que nous ne détricoterons jamais notre marché unique, qui fait notre force entre nous et dans le monde.
  • Sans relâche, nous avons travaillé avec les Britanniques pour aboutir à cet accord de retrait de près de 600 pages. Seul cet accord permettra un retrait ordonné du Royaume-Uni, en en minimisant les conséquences négatives sur les citoyens, les entreprises, et les territoires – je pense en particulier à l’Irlande et à l’Irlande du Nord.
  • Et sans relâche, nous avons construit avec le gouvernement britannique le cadre d'une future relation que l'Union européenne souhaite aussi proche et aussi ambitieuse que possible.

Mesdames et Messieurs,

Vous le savez, cet accord a été agréé par le Conseil européen et le gouvernement britannique. Il a reçu l’approbation du Parlement européenne. Mais il a été massivement rejeté par le Parlement britannique la semaine dernière.

La Première ministre Theresa May a apporté cet après-midi un certain nombre de clarifications sur la manière dont elle souhaite aborder les prochaines étapes de ces négociations.

Je ne vais pas commenter ici et maintenant ces déclarations, car nous devons respecter le débat parlementaire qui continue au Royaume-Uni.

Nous allons continuer à travailler avec le Royaume-Uni dans l'état d'esprit qui a été le nôtre, le mien, depuis le début de ces négociations : fermeté quant à l’intégrité de l’Union, ouverture pour bâtir un partenariat avec le Royaume-Uni aussi ambitieux que possible.

Mesdames et Messieurs,

Ainsi, le Brexit nous a rendus plus lucides. Ma conviction est qu’il doit aussi nous rendre plus volontaristes.

Le Brexit n’a pas de valeur-ajoutée. C’est une négociation négative.

Alors, cette unité que nous avons construite et maintenue tout au long de cette négociation, nous devons maintenant l’utiliser pour l’agenda positif. Pour bâtir les politiques qui permettent l’affirmation stratégique de notre Union.

Regardons bien le monde tel qu’il est :

Les Etats-Unis font le choix de l’unilatéralisme comme jamais dans le passé.

La Chine dessine un modèle politique et économique concurrent à celui que nous connaissons.

Notre relation avec la Russie reste toujours aussi complexe et instable, avec les questions non résolues, en particulier la Crimée.

La force reprend trop souvent le dessus sur le droit dans le concert des nations. L’autorité de l'ONU, l'OMC, la Banque Mondiale, l’OTAN, la Cour Pénale Internationale est questionnée, parfois contestée.

Nous ne pouvons pas laisser les règles du jeu être décidées par d’autres ! Si nous n’affirmons pas nous même l’autonomie stratégique de l’Union dans ce nouveau monde, personne ne le fera pour nous !

L’Europe doit être capable de faire entendre notre voix et de promouvoir nos intérêts.

  • Rester alliés avec les Etats-Unis, mais pas nécessairement alignés.
  • Coopérer avec la Chine sur la scène mondiale, mais rester ferme sur nos valeurs et les exigences d’un ordre et d’une économie internationale ouverts, respectueux de la personne.
  • Renouveler le dialogue avec la Russie sans jamais transiger sur le respect du droit international et de l’intégrité des Etats.
  • Tenir notre rang dans la stabilité du pourtour méditerranéen.
  • Reformer et redynamiser les institutions internationales.

Pour cela, nous devons affirmer, collectivement, notre souveraineté dans tous les grands domaines où nous voulons rester acteurs, et pas simples spectateurs.

Je voudrais ce soir évoquer les 4 grands chantiers de la souveraineté européenne : défense, numérique, économie, écologie.

1/ L'affirmation de la diplomatie et de la défense européenne

Il y a 20 ans presque jour pour jour, le Président de la République française, Jacques Chirac, et le Premier ministre britannique, Tony Blair, proposaient ensemble les jalons d’une défense européenne.

Lors du Sommet de Saint-Malo, ils s'accordaient pour que l'Union ait une "capacité autonome d'action, appuyée sur des forces militaires crédibles » pour répondre aux crises internationales.

Nous avons jeté les bases de cette défense européenne. Autonome et complémentaire de l'OTAN.

  • Nous avons projeté 150 000 hommes dans le cadre de 35 opérations – militaires ou civiles, qui ont contribué à la sécurité du pourtour européen.
    • Atalanta pour lutter contre la piraterie au large de la Somalie.
    • Sofia pour lutter contre le trafic d’être humain en Méditerranée.
    • En Géorgie, pour contribuer à la stabilisation de la situation.
  • Nous avons mutualisé une partie de nos efforts de recherche et de technologie, notamment dans le cadre de l'Agence européenne de défense.
  • A la demande de Jean-Yves Le Drian, alors Ministre de la défense, nous avons activé la clause d'assistance mutuelle en 2015, pour soutenir la France dans la lutte contre Daech.

Nous devons aller plus loin, en renforçant deux vecteurs naturels de la souveraineté : la diplomatie et la défense.

Nous devons consolider la diplomatie européenne en valorisant nos instruments :

  • 140 délégations de l’Union dans le monde, autant de capteurs et de relais qu’il nous faut mieux exploiter ;
  • une capacité de sanctions contre des Etats tiers ou des personnes. Avec près de 35 régimes de sanction à ce jour, nous avons une force de frappe économique et stratégique ;
  • l’aide au développement, domaine dans lequel nous sommes le premier contributeur au monde - 75 milliards d’euros en 2017 !
  • un service européen d’action extérieure qui permet de mettre en commun – sans les diluer ! - la richesse de nos diplomaties nationales, de nos réseaux, de nos cultures, de nos géographies.

Ces instruments doivent être mis au service d’une vision commune. Il n’y a de diplomatie européenne que si nous parlons d’une seule et même voix, comme nous l’avons fait sur le nucléaire iranien.

Et il n’y a de diplomatie efficace que si nous sommes capables de réagir rapidement.

Ensemble, repensons notre approche. Ensemble, mobilisons nos politiques et nos moyens pour répondre en particulier aux défis posés par deux continents majeurs au 21e siècle :

  • L’Afrique, notre voisin – 14 kilomètres nous séparent – avec qui nous devrons renouveler notre partenariat. L’Afrique comptera 2,5 milliards d’habitants en 2050, dont la moitié aura moins de 18 ans !
  • La Chine, en quête d’un nouvel ordre international, qui se donne la capacité d’être la première puissance du monde.
  • Seule l’Union nous donne la taille et la crédibilité nécessaires pour avoir un dialogue équilibré avec ces deux géants.

En parallèle à notre diplomatie, nous devons donner toute sa place à la défense européenne. Le moment n’est-il d’ailleurs pas venu que les gouvernements et les institutions identifient un responsable politique pour mieux coordonner nos efforts dans ce domaine, comme nous avons commencé à le faire pour nos politiques étrangères avec la Haute représentante Federica Mogherini ?

Je me permets de rappeler, ici à Paris, que c’était l’une des intentions de pères fondateurs en 1952 avec le projet de Communauté européenne de la défense.

Nous sommes le continent qui investit le plus dans sa défense après les Etats-Unis. Et pourtant ! Trop de repli. Trop de fragmentations. Trop de doublons. 180 systèmes de combat différents en Europe contre 30 aux Etats-Unis. Par exemple : 17 types de char contre 1 outre-Atlantique, 6 programmes de frégate parallèles en Europe !

Des premiers progrès ont été faits. Le Fonds européen de défense stimulera le développement en commun d’équipements et de technologies. La Coopération structurée permanente rehaussera le niveau d’engagement des Etats membres.

Mais nous devons aller plus loin.

Avec les Etats membres, c’est une Union de la défense que nous devrons imaginer comme l’a proposée le Président Juncker. Une telle Union reposerait sur :

  • Une vision stratégique commune à l’horizon 2030 et formalisée dans le cadre d'un livre blanc européen.
  • Une capacité collective d’anticipation et de décision renforcée, pour davantage anticiper et préparer nos décisions, notamment par nos capacités de renseignement.
  • Des structures de gestion de crise plus robustes et plus crédibles, des forces communes plus facilement déployables.
  • Une industrie de défense européenne forte pour maîtriser pleinement les technologies et équipements dont nous avons besoin pour exécuter nos missions.

Naturellement, nous aurons aussi à construire avec le Royaume-Uni un partenariat ambitieux sur ces questions pour la sécurité de nos citoyens.

Mesdames et Messieurs,

2/ Le 2e chantier de notre souveraineté : le numérique.

Dans un monde interconnecté, l’affirmation de la souveraineté européenne est indispensable.

L’expansion du numérique et la dématérialisation des services sont sources de formidables opportunités. Mais aussi de nouvelles formes de vulnérabilité.

Certains n’hésitent pas à exploiter ces nouvelles failles. Des attaques d’un nouveau genre n’épargnent aucun secteur : ni la santé, ni l’économie, ni les services financiers, ni l’énergie.

  • En décembre 2015 puis en décembre 2016, les réseaux énergétiques de l’Estonie puis de l’Ukraine étaient paralysés pendant plusieurs heures en raison d’une attaque cyber.
  • En 2017, un an après des attaques cyber pendant l’élection présidentielle, les Etats-Unis intégraient les systèmes de vote dans les infrastructures critiques afin de mieux assurer leur sécurité.
  • Toujours en 2017, plusieurs hôpitaux britanniques étaient hors d’usage en raison d’un virus informatique.

On voit bien que les réseaux sociaux – souvent anonymes – peuvent aller jusqu’à remettre en question nos démocraties et la cohésion de nos sociétés. Ils peuvent être tour à tour :

  • des outils de propagande et de discours haineux dans le cas de Daech ;
  • des outils d’ingérence de puissances extérieures dans nos élections nationales et le bon fonctionnement de nos démocraties, comme nous l’avons vu aux Etats-Unis ou en Europe.

L’Union doit se donner les moyens de se protéger et de répondre à la prolifération de cette menace qui ne connaît ni barrières physiques, ni frontières nationales.

Cela passe par la protection de nos infrastructures critiques : satellites, câbles sous-marins, réseau de distribution électrique.

Cela passe par la protection de nos filières industrielles et technologiques.

  • L’Union européenne concentre le plus grand nombre d’investissements directs extérieurs. Il ne s’agit donc pas de nous couper du reste du monde.
  • Mais de plus en plus, nos entreprises sont visées par des opérations hostiles dans des secteurs critiques : électronique, télécommunication, énergie et parfois défense.
  • Lorsque ces opérations présentent un risque pour notre sécurité, nous devrions avoir les moyens, collectivement, de les prévenir. C’était l’une des propositions du Président Macron prononcées ici, que je rejoins.
  • Nous devrions prolonger les initiatives sur le contrôle européen des investissements extérieurs, par exemple en proposant une blacklist européenne écartant certains opérateurs ou technologies étrangers quand ils présentent un risque avéré pour notre sécurité.

S'affirmer dans le monde numérique, c'est aussi la définition d'un agenda positif à travers l’investissement en commun :

  • Pour développer nos propres technologies dans les domaines de l’intelligence artificielle, analyse des big data, cryptologie, puces – qui seront au coeur de nombreuses applications de notre vie quotidienne dans le futur. Nous réduirons ainsi nos vulnérabilités.
  • Pour mettre en place des filières technologiques et industrielles européennes et de maîtriser nos chaînes d’approvisionnement. Nous réduirons ainsi nos dépendances vis-à-vis de pays tiers.
  • Pour nous assurer que l’économie de demain - celle de la 5G, celle des applications, des objets connectés, des voitures automatiques et des « smart cities » - ne devienne le terrain de jeu d’un espionnage à grande échelle.
  • Et enfin, pour développer le capital humain. L'Europe a un rôle à jouer pour accompagner le virage social et économique engendré par le numérique !

S'affirmer dans le monde numérique, c'est enfin exercer notre capacité de régulation :

  • Nous l’avons fait en définissant les standards permettant de garantir la protection des données personnelles.
  • Nous devons certainement aller plus loin. Ce n’est pas aux géants du numérique de contraindre nos choix individuels ou collectifs à travers des algorithmes ou des millions de lignes de codes !

C’est à l’échelle de l’Union que nous répondrons à ce formidable défi, par la combinaison intelligente de la politique industrielle et des règles du marché intérieur.

Mesdames et Messieurs,

3/ Dans ce contexte, le 3eme chantier c'est d'affirmer notre souveraineté en matière économique et monétaire.

En 1991, à la veille de la première guerre de Golfe, le ministre belge des affaires étrangères Mark Eyskens décrit l'Union européenne comme un "géant économique, mais un nain politique".

Dans un monde où les guerres commerciales, les "trade wars", se multiplient, où la course à l’innovation s’accélère, où les émergents nous dépassent, le temps presse pour transformer les ressources économiques dont l'UE dispose dans un outil de puissance.

Nous avons trois leviers entre nos mains.

Premièrement, le marché intérieur.

  • Ce marché est notre meilleur atout pour créer de la croissance et de l'emploi.
  • Or, c'est aussi ce qui nous permet de défendre et projeter nos intérêts commerciaux dans le monde. C'est sur cette base qu'on a discuté d'égal à égal avec le Japon et qu'on discute actuellement avec les Etats-Unis.
  • De plus, c'est l'outil qui nous permet d'écrire les règles de l'économie mondiale – comme on l'a fait en matière de protection de données [à travers le GDPR] ou en matière des substances chimiques [à travers le REACH].
  • Conjuguée à une politique commerciale déterminée, cette puissance normative, que nous n'utilisons sans doute pas assez, est un levier essentiel de l'affirmation stratégique des européens !

Le deuxième levier, c'est notre monnaie unique – l'euro.

  • Ce mois marque le 20ème anniversaire de l'euro. En 20 ans seulement, l'euro s'est établi comme la deuxième monnaie mondiale.
  • Les bénéfices économiques sont clairs : faciliter le commerce, réduire les taux d'intérêts, améliorer l'accès au crédit.
  • Or, comme l'indique Président Juncker, à ce jour son potentiel n'est pas encore pleinement réalisé, notamment s'agissant du rôle international de l'euro.
  • C'est un enjeu d'autonomie européenne de premier rang.
    • Aujourd'hui les Etats Unis, munis de ce que Giscard d'Estaing appelait leur 'privilège exorbitant', sont en mesure de prendre des décisions unilatérales avec des effets extraterritoriaux, comme dans le cas de l'accord avec l'Iran.
    • Et la Chine fait de la promotion du rôle international du renminbi l’un des piliers de sa politique commerciale et extérieure.
  • L'Europe ne doit pas rester les bras ballants. Il n'y aucune raison par exemple que 80% de nos importations en matière d'énergie, dont seulement 2% sont avec les Etats-Unis, soient effectuées en dollar !

J’ai beaucoup parlé de protection. Mais dans mon esprit, la bonne protection, ce n’est pas le protectionnisme, même s’il faut être moins naïf dans nos relations internationales.

La bonne protection, c’est l’investissement en commun. C’est notre troisième levier.

  • Investir dans la recherche, l’innovation, les infrastructures, la culture et les connaissances.
  • Comme l’a fait le plan Juncker qui devrait permettre d’ici 2020 d’atteindre 500 milliards d'euros d’investissement.
  • Inspirons-nous aussi de ce que nous avons fait dans le domaine spatial !
    • Galileo et ses 26 satellites en orbite nous apportent un système parfaitement autonome de navigation et géolocalisation, y compris pour des services particulièrement sensibles.
    • Seuls des Etats continents – les Etats-Unis, la Chine et la Russie disposent de systèmes équivalents !
    • Avec Galileo, nous avons regagné une forme de souveraineté que nous aurions perdue au niveau national.

Utiliser le pouvoir de notre marché unique, renforcer le rôle mondial de l'euro, investir en commun, c’est renforcer notre capacité de nous projeter à l'international.

Mesdames et Messieurs,

4/ Enfin, dernier chantier de notre souveraineté européenne : l’écologie.

Face au changement climatique, la stabilité de notre continent et le bien-être durable de nos concitoyens, passeront par la maitrise de la transition écologique.

Pour atteindre l’objectif de zéro émission nette de CO2 en 2050, il faut agir sur tous nos modes de production et de consommation.

Nous ne pouvons plus exclure la priorité écologique de notre action politique, ou la sous-estimer comme nous l'avons fait depuis trop longtemps.

Au contraire, il faut faire de la souveraineté écologique un élément central de l’affirmation stratégique des Européens.

D’abord, à travers la maîtrise des technologies clés pour aller vers la neutralité carbone.

  • Hydrogène, piles, nouvelle génération de panneaux solaires, chimie verte…
  • Voulons-nous importer toutes ces technologies de Chine, ou en développer la maîtrise nous-mêmes ?
  • La maîtrise technologique est dans ce domaine aussi un enjeu de compétitivité, de nos emplois, mais aussi une condition de notre souveraineté.
  • Et naturellement, pour bon nombre d’entre elles, là encore, le bon échelon est l’investissement en commun au niveau européen.

Deuxièmement, nous devons consommer moins et mieux pour être moins dépendants.

  • Le continent européen est le plus riche en capital humain et le plus démuni en ressources naturelles fossiles et minières.
  • Une économie plus sobre en énergies fossiles ne réduit pas seulement l’impact sur notre climat, mais renforce aussi notre sécurité d’approvisionnement dans un contexte géopolitique instable.
  • Le kilowatt le moins cher à produire, le baril de pétrole le moins cher à acheter sont ceux que nous ne consommons pas !
  • L’investissement dans les renouvelables nous rend moins dépendant du pétrole et du gaz importé du Golfe ou de la Russie.

Réduire notre consommation de ressources cela veut aussi dire augmenter la circularité de l’économie européenne.

  • Elle est actuellement de l’ordre de 1 à 7. Pour 7 tonnes de matières utilisées par l’économie européenne, une seule provient du recyclage de déchets.
  • Selon les projections, le potentiel d’économies est énorme : cela pourrait permettre aux entreprises européennes d'économiser annuellement plus de 200 milliards.
  • En investissant dans l'économie circulaire, l’industrie européenne devient moins dépendante à l’égard de minerais chinois – et notre agriculture devient moins dépendante du soja du Brésil ou des Etats-Unis.

Notre agriculture européenne fait évidemment partie intégrante de notre affirmation stratégique - et de cette « Europe verte » que nous devons cultiver.

  • Un nouvel équilibre doit être trouvé alliant l’accélération de la transformation écologique des modes de production et les exigences de qualité dues aux consommateurs avec l’assurance d’un métier rémunérateur pour les agriculteurs et la protection contre les pratiques concurrentielles déloyales.

Ce dernier point illustre une dimension très importante de cet agenda.

Trop souvent les exigences de l’écologie se confrontent aux "problématiques de fin du mois", pour reprendre l'expression de Nicolas Hulot.

  • Je reste convaincu, que proprement conçu, l’agenda écologique n’a rien d‘économiquement ou de socialement régressif.
  • L’écologie doit être un agenda positif à l’échelle européenne.
  • Un exemple : à travers l’investissement en commun dans les technologies de stockage et les voitures électriques, l’Europe peut devenir le premier continent « électrique ».
  • Il en va de notre compétitivité et nos emplois futurs, mais aussi de la lutte contre le cancer et maladies respiratoires, donc de notre santé à tous.

En réalité l’écologie peut être un facteur majeur de la reconnexion entre l’Europe et les citoyens.

Mesdames et Messieurs,

Pierre Mendés-France disait dans son discours à la jeunesse en 1955 : « Ne jamais sacrifier le présent au futur ».

Alors que le présent est difficile pour beaucoup d’européens, tout en nous occupant du présent, nous devons garder l’énergie, le temps et l’audace de préparer le futur.

Regardons le monde tel qu’il est. Imaginons l’avenir avec lucidité. Si nous voulons être en capacité de choisir notre destin dans les décennies qui viennent, nous devons nous affirmer ensemble, à l’échelle de l’Union.

Cette souveraineté européenne n’est pas synonyme de repli.

Au contraire, la souveraineté européenne, c’est tout simplement avoir la liberté de décider. De défendre des biens communs européens.

La souveraineté européenne ne revient pas non plus à nier la souveraineté de nos Etats. Au contraire. Elle démultiplie, amplifie la souveraineté nationale.

C’est se donner une chance de relever ces grands défis, et c’est transmettre cette chance aux générations futures.

Mesdames et Messieurs,

Comme vous l’imaginez, je suis beaucoup imprégné d’auteurs britanniques ces derniers mois. J’ai encore en mémoire la question que posait il y a quelques années mon ancien collègue et ami Chris Patten, alors commissaire européen : « la défense de l’intérêt national est-elle toujours nationale ? "

J’ai l’intime conviction que nous pouvons, que nous devons être patriotes et européens. Être Européen, ce n’est pas renoncer à être Français !

Merci pour votre attention.