Leçon inaugurale
Leçon inaugurale - 25 janvier 2021 - Amphithéâtre Richelieu
Discours de Louis Gautier
Mesdames, Messieurs
Chers étudiants,
Nous avions pourtant tout prévu, changé de décor, préféré le bois sacré et ce grand amphithéâtre de la Sorbonne de 1000 places au lieu de l’amphithéâtre Richelieu qui n’en comporte que 600. Ce qui, au départ, était une réponse au succès de nos conférences - cette année plus de 700 auditeurs sont inscrits pour suivre le programme de la Chaire - se révélait, en ces temps de COVID, être une précaution sage pour tenir, sans risque, notre Leçon inaugurale devant une petite cohorte d’étudiants en permettant à tous les autres d’assister à sa télétransmission en direct. Nous avions tout prévu dans cette période exceptionnelle sauf que l’on n’est jamais à l’abri d’un inattendu.
Le général Lecointre m’a, en effet, fait savoir ce matin qu’une raison urgente ne lui permettrait pas de prononcer la Leçon inaugurale de la huitième édition de la Chaire Grands enjeux stratégiques contemporains aujourd’hui. En votre nom à tous je voudrais le remercier d’abord de participer à nos travaux et d’avoir accepté de reporter sa conférence à une date ultérieure. Nous vous préviendrons de sa reprogrammation.
De ce qui n’est donc qu’un contretemps, je voudrais faire une digression rapide pour les étudiants qui travaillent en séminaire avec moi sur la planification et la gestion de crise : On a beau vouloir rationnellement inverser la formule de Paul Valery « Quoi d’imprévu à qui n’a rien prévu », un risque peut toujours en cacher un autre. Ainsi la pandémie aujourd’hui qui, de surcroît, nous fragilise, ne nous met pas à l’abri d’autres coups durs. Je ferme la parenthèse.
Cette année, le cycle des conférences de la Chaire est consacré à « la France acteur stratégique ? ». Le sujet posé comme question sera successivement décliné au cours des onze prochaines conférences hebdomadaires sous ses divers aspects diplomatiques, militaires et industriels.
Nous accueillerons, pour en traiter, les intervenants suivants : Nicolas Baverez (avocat essayiste spécialiste de Raymond Aron et pilier de la fondation Montaigne), Pierre Vimont (ancien ambassadeur de la France auprès de l’Union européenne et des USA) , Nicole Gnesotto (professeur au CNAM), Thomas Gomart (directeur de l’institut français des relations internationales IFRI) , Bruno Tertrais (directeur adjoint de la fondation pour la recherche stratégique), Patrice Caine (président directeur général de Thales), Claudia Major (associée senior au German Institute for International and Security Affairs), Sylvie Kauffmann (éditorialiste au journal Le Monde), Laurent Collet Billon (ancien directeur général pour l’armement), Ousmane Ndiaye ( rédacteur en chef Afrique à TV5 Monde) et Nyagalé Bagayoko (politologue, présidente de l’African Scurity Sector Network) .
En fonction des mesures adoptées par le gouvernement pour faire face à la pandémie, nous adapterons les conditions d’accueil à nos séances mais le programme de la Chaire se déroulera comme prévu, au moins en visio-transmission.
Le thème retenu cette année peut s’inscrire dans la perspective des élections de 2022 dans notre pays et des débats occasionnés par ces échéances, qu’il s’agisse de la défense ou de la politique extérieure de la France. La campagne des élections présidentielles est, en effet, un des rares moments où on aborde ces questions. Il en avait été de même, quand, l’an dernier nous avions traité de l’assise stratégique des Etats-Unis en pleine période des primaires démocrates, ou en 2019 quand, avant le renouvellement du Parlement de l’Union, nous nous étions penchés sur l’avenir de la défense européenne. Alimenter les réflexions, en amont de rendez-vous électoraux, est toujours opportun, dans des domaines où les enjeux sont majeurs et pourtant trop faiblement discutés, quand ils ne sont pas totalement couverts par des argumentations d’experts qui les rendent peu intelligibles à nos concitoyens. C’est notamment le cas de la dissuasion nucléaire ou des enjeux budgétaires pour notre défense. Alors que la loi de programmation militaire 2019-2025 suppose un arbitrage, en 2021, pour déterminer la trajectoire des crédits des armées après 2022, le principe d’un effort de défense stabilisé à 2% a perdu désormais tout son sens, à cause de la décroissance du PIB entrainé par la pandémie et par l’accroissement des déficits publics.
Le moment est propice en raison d’échéances internes mais aussi d’un agenda international qui suppose que notre pays soit maintenant à l’initiative et saisisse des opportunités : l’arrivée au pouvoir de l’administration Biden rebat les cartes sur de nombreux dossiers (OTAN, Iran, Turquie, Russie), la France, dès ce semestre, sera à la manœuvre pour préparer sa présidence de l’Union en janvier 2022. Comment, après le Brexit, la France va-t-elle accommoder sa relation avec le pays qui, depuis les accords de Lancaster House, figure comme son premier allié opérationnel en Europe ? Quelle sera, dans les mois à venir, la conduite adoptée par notre pays en ce qui concerne ses engagements militaires au Mali et dans la bande saharo-sahélienne ?
Tous ces sujets d’actualité sont stimulants. Ils sont importants même si fondamentalement, dans le cadre des travaux académiques de la Chaire, nous explorons plutôt le temps du moyen et du long terme, celui des cycles décennaux et des changements de structure de la donne géostratégique mondiale. A l’horizon de 2030- 2035, quels sont les horizons stratégiques pour la France ? Peut-on faire l’économie d’une remise à plat des grands objectifs assignés à notre défense et consignés dans un livre blanc national ou européen qui devrait, à mon sens, être mis en œuvre pour succéder à celui de 2013 ?
Tous les réaménagements de la réalité internationale incitent à une révision des idées reçues et à l’examen des conséquences induites pour notre pays et l’Europe, par la crise du COVID, l’ascension irrésistible de la Chine, les crispations à Moscou, signaux avant-coureurs d’une fin de règne sinon de régime, et aussi par toutes les ruptures technologiques ou constatées dans les écosystèmes qui bouleversent la définition des appareils de défense et à terme leur composition : l’essor de l’IA, l’économie du Newspace, les nouvelles dimensions cyber spatiales ou sous-marines des menaces.
Dans une période de profond renouvellement de la donne internationale et de bouleversement de tous les grands paramètres géopolitiques, l’enrichissement de l’offre de formation et de recherche de Paris1, dans le domaine des affaires stratégiques, de sécurité et de défense, est plus que jamais nécessaire. Il y a un vrai besoin de décryptage des menaces, des risques et des vulnérabilités qui constituent autant d’enjeux stratégiques pour la sécurité de notre pays, ou notre société, ou notre démocratie.
Aussi, avant de conclure je voudrais adresser mes remerciements aux représentants de la Fondation Saint-Cyr et aux entreprises partenaires de la Chaire : AIRBUS, Naval Group, Le CEA, MBDA, THALES. Cette collaboration fructueuse et constante, a inscrit les activités de la Chaire dans la durée. Elle contribue à renforcer des liens entre notre université et le monde de la défense.
Des liens qui sont anciens et nombreux mais aussi spécifiques. Je pense en particulier aux formations adaptées que Paris1 propose depuis longtemps déjà aux cadres de la DGA au niveau du Master ou à des officiers inscrits dans des cursus spécialisés ou en doctorat.
Au plan académique, la Chaire, créée au même moment que l’Institut des Études sur la guerre et la paix, a favorisé la naissance de l’ambitieux projet des Sorbonne War Studies de Paris1, répondant ainsi à une attente des étudiants, confortant le positionnement national et international de notre université et mobilisant nos UFR, en particulier celles d’histoire, de science-politique, de géographie et de droit dans un champs d’étude et de recherche par essence interdisciplinaire.
Il y a un vrai besoin de nourrir les réflexions et le débat pour décrypter et mieux comprendre les risques et les enjeux stratégiques de demain. C’est à cela que cette nouvelle édition centrée sur la France entend bien s’employer. Je vous donne rendez-vous lundi prochain pour la conférence de Nicolas Baverez.
Merci de votre attention.